Si M’hamed ben Rahal : modernité et tradition

Si M’hamed ben Rahal : modernité et tradition

 

 

Un rappel Bibliographique

 

La vie si M’hamed ben Rahal est vien connue, mais il se peut qu’un petit rappel ne soit pas inutile. Si M’hamed ben Rahal  naît à NEDROMA le 16 mai 1858. Son père est Hamza ben Bachir ben rahal, agha de NEDROMA et des Traras, et sa mère se nomme Ghomari Zahra. Il suit les courts de l’école franco-arabe ouverte dans la ville depuis 1856, et poursuit ses études au collège impérial D’Alger jusqu’en 1874. Il semble qu’il ait à ce moment commencé une carrière militaire, mais des 1876 il est nommé Khalifa d’Agha, et en 1878, il succède à son père comme caïd de NEDROMA. C’est même année qu’il se rend à paris dans une délégation de personnalités Algériennes invitées à visiter l’Exposition universelle. Sa démission de la charge de caïd en 1884 est certainement liée à la dévalorisation de cette charge, à la suite de l’arrivée en 1880 du premier administrateur de la commune mixte de NEDROMA. Sa vie est désormais partagée entre des études, des publications, des enquêtes et des activités politiques ? Ses articles l’ont fait connaître en France. Jules Ferry l’a remarqué : c’est ainsi qu’il vient en France en 1891 déposer devant la commission sénatoriale des XVIII[1].

En 1894, il lance une pétition pour la réorganisation des médersas. En 1896 on le voit polémiquer avec le secrétaire du groupe colonial à la chambre. Il fait un voyage à Gibraltar, Tanger et Melille. L’années suivante, il participe à paris au congrès des orientalistes, et y prononce une conférence remarquée sur «  l’avenir de l’Islam ». L’année 1900 inaugure un tournant dans sa vie. Probablement déçu par le peu d’écho que trouvent ses propositions auprès des autorités française, voire de ses pairs de l’élite algérienne, il se retire à NEDROMA et s’adonne au mysticisme (soufisme) pratiqué dans les confréries. Il choisit la confrérie des Darqawa, la relance, et tente probablement d’unifier les autres confréries. Tentative qui ne réussira pas. Il n’est pourtant pas oublié : en Avril 1903, lors de la visite en Algérie du président Loubet, c’est lui qui est chargé à Tlemcen du discours de réception et il lui expose avec sa franchise habituelle les revendications des musulmans : refus de l’assimilation et demande d’une représentation politique. En 1908, il rédige un mémoire contre la conscription prévue par le décret Messimy, et il va à paris défendre cette position à la tête d’une délégation qui sera reçue par le président de la république. En 1913 il est élu conseiller général de NEDROMA, mais c’est en 1919 qu’il reprend une activité politique intensive en  étant élu délégué financier. Il lutte en vain contre le rétablissement du régime de l’indigénat et fait dans ce but un voyage à paris en 1920 avec l’émir Khaled. En 1923 il est invité au Maroc par Lyautey, et à son instigation, il donne une conférence à l’université Qarawiyine, sans grand écho apparemment.

En 1925, il est réélu conseiller général, mais battu aux élections des décembre. C’est le 6 octobre 1928, à soixante-dix ans, qu’il meurt à NEDROMA.

 

Les grandes idées de si M’hamed ben Rahal

 

Il n’est pas possible de dresser un panorama complet des thèses défendues par si M’hamed durant toute sa carrière. Certaines constantes toutefois les dominent, et je voudrais ici me contenter d’insister sur deux d’entre elles. La première est qu’il lui paraît important de Développer l’instruction, et l’instruction pour lui fait une place première à la langue arabe. La seconde est l’importance de l’islam dans la culture algérienne : tout renouveau de l’Algérie passe pour lui par un renouveau de l’Islam.

 

1/ Développer l’instruction

 

Comme son contemporain Mohamed ben mouhoub à Constantine, Si M’hamed pense que l’ignorance est la cause principale de la décadence de l’Algérie. Il y a sans doute à cette époque mémoire de situation d’avant 183, une époque où les fondations Ha bous permettaient l’existence de nombreuses écoles coraniques et l’instituts. Selon l’administrateur Rohrbacher, « autrefois il y avait à NEDROMA des écoles nommées Zaouia dans lesquelles les tolab venaient apprendre le sidi-khelil ; elles ont disparu »[2] il pense en priorité à l’enseignement de la langue arabe. Certes il existait des écoles coraniques, mais leur niveau lui faisait dire : «  Pauvre enseignement ! Pauvres moyens ! Pitoyable spectacle »[3]. Dans le mémoire qu’il lut devant la commission des XVIII, il demande qu’on triple le nombre des élèves, qu’on double celui des professeurs musulmans, qu’on assure cinq ans de scolarité, suivis d’en enseignement supérieur. Il voulait faire de l’université d’Alger la rivale d’Al-Azhar ou de la Zeitouna. Dans une lettre au député Claudey qui s’était opposé à ses propositions, il écrivait : «  présentement nous sommes des coffres fermés ; il est de toute nécessité d’avoir une clé pour nous ouvrir. Cette clé ne peut être que la langue française. Après, vous pourrez juger si nous sommes capables de progrès… Si l’instruction fait de nous des déclassés ou des hommes…si notre prédilection apparente pour les postes ou les emplois rétribués – prédilection qui semble commune à tous les peuples – n’et pas par exemple l’indice d’une situation économique de nature à éveiller plutôt la sollicitude que les critiques …. »[4]

Cette demande de langue française était méritoire car il la sentait assez étrangère à la demande populaire : « l’arabe peut subir l’instruction mais ne la demande pas, car il y voit une sorte de piége en vue de lui ravir sa nationalité et sa religion »[5], précisant par ailleurs que «  Rien ne tient plus au cœur du musulman que la langue qu’il suce le lait, celle dans laquelle il lit le livre saint et invoque Dieu »[6].

Dans sa lutte pour le développement de l’instruction, si M’hamed visait un double objectif. A travers la langue française, il voulait que des Algériens puissent pied dans le système moderne introduit par la colonisation, comme il avait pu faire lui-même. A travers la langue arabe, il visait la consolidation de la personnalité algérienne, mais aussi, comme le feront plus tard les réformistes à la suite de cheikh Abduh, une lutte contre les superstitions au bénéfice d’une religion reposant sur des fondements rationnels.

 

2/ Réformer l’islam en Algérie

 

Si M’hamed ben rahal est persuadé que le renouveau de sa société passe par la renaissance de l’islam. Dans une première phase de sa carrière, il semble espérer faire comprendre, sinon aux colons, du moins aux milieux éclairés de paris, que l’intérêt bien compris de la France serait de favoriser l’islam et non de la combattre. Il parle du « Libéralisme un peu et surtout platonique du français de France, suffisant cependant pour entretenir l’espérance des Musulmans et leur permettre de garder foi en des jours meilleurs »[7]. Il déclare en 1901 : «  quand on rêve de s’annexer la moitié d’un continent, réduire l’indigène à la misère, même, par la voie légale ; n’est pas une politique ; le charger de tous les crimes n’est ni une justification ni une solution. Nous sommes de ceux qui croient qu’il n’est pas difficile de faire mieux. Mais il faut se hâter si l’on ne veut pas que toute réconciliation devienne impossible. Le vingtième siècle verra nécessairement une politique franco-musulmane mieux appropriée ou une catastrophe. Si l’islam occidental africain ne se civilise pas par la France et pour la France, il se civilisera malgré elle et contre elle »[8].

Il ajoutait ce constat : « les états musulmans sont arriérés et dévidés, mais diffusion de l’instruction leur fera reprendre leur place dans le monde et l’hostilité de la chrétienté amènera leur union…. C’est sous le canon de la chrétienté que se fera la renaissance de l’islam »[9].

Ces déclarations avaient été faites dans le cadre de sa communication sur l’Avenir de l’Islam, au congrès des orientalistes de 1897, communication dont le texte fut publié en 1901 dans la revue des questions diplomatiques et coloniales (1er novembre 1901).

 

Les espoirs mis dans la France furent déçus. Dans sa retraite soufie » à partir de 1900, si M’hamed tente de repartir e la base, dans ce qui est à ce moment la seule structure organisée pour l’islam algérien : les confréries. Il choisit celle de Darqawa, la plus éclairée semble-t-il, et dont le moqaddem est son beau-père, M-Ghomari. Il tente de réunifier les autres : c’est un échec car on le soupçonne d’ambition politique dans ce domaine également. Quelque jugement qu’on porte sur cette tentative, il n’empêche qu’elle relève d’une intuition juste. Pour emporter l’adhésion du peuple, la première condition est de ne pas se couper de lui, de  le rencontre là ou il est .dans le domaine de l’islam, les réformes apportées d’en haut ou de l’extérieur ont peu de chances d’être adoptées .si M’hammed Ben Rahal avait compris qu’aucune action de développement, si bien intentionnée  soit-elle, ne peut se réaliser sans la participation de la population concernée.

 


Conclusion

     Sur les deux points envisagés, l’instruction et l’islam, les idées de Si  M’hammed sont étonnamment modernes et témoignent de la justesse de ses intuitions. C’est par une éducation assurant à la fois la fidélité au passé de l’ouverture à la modernité que le développement peut s’établir : son insistance sur l’enseignement des langues arabe et française avait ce but. Par ailleurs en ALGéRIE la culture musulmane a profondément donné forme à la personnalité collective, et c’est à partir d’elle, à condition de na pas s’y limiter, qu’une culture moderne peut se construire. Si M’hammed prônait un islam authentique mais éclairé et rêvait de faire d’Alger un pole de cet islam rénové et adapté au moderne. C’est sur  ces points qu’il peut être considéré aujourd’hui encore comme l’un guides de l’Algérie.     

 

 

                                               


Annexe : écrits de si M’hammed ben rahhal :

1887 : le soudan au XVIéme siècle. Traduction de l’arabe de récit de la conquête du sudan en 999 de l’hégire, par Abou-l’abbas Ahmed el-Mansour.

1888 : histoire de Nédroma. Traduction du texte arabe rédigé par son père Hamza en 1847.

Texte publié par canal en 1888.

1889 : A travers les Bni-Isnassen.

1881 : mémoire devant la commission sénatoriale des XVIII.

1987 : publication du texte précédent dans la revue des questions diplomatiques et coloniales (1er novembre 1901).

1903 : discours prononcé en Avril à Tlemcen lors de la visite du président Loubet.

1908 : mémoire relatif au décret Messimy sur la conscription.

1912 : lettres échangées sur blé même sujet (3 février au gouverneur, 8 juin à Albin Rozet)

1925 : lettre d’adieu à ses coreligionnaires (14 décembre).

1880 le premier Lauréat Algérien de la Faculté de Médecine de paris (Dj Sari, 1988). Telle est bien, en définitive, la base de redéploiement, c’est afin d’échapper coûter que coûte aux conséquences néfastes du repli moribond, que l’acculturation a été activement recherchée et soutenue par une scolarisation de qualité ( Mohamed Bénamar Djebbari, I, 1999 : 94-124 ; Ii, 2001 : 23-38, 137-148, 224-227, 2002, III : 20-44, 100-102,207-254) en ne tardant pas à ouvrir d’assez larges perspectives face au déclin successif de l’artisanat et de l’agriculture. Peu à peu, tout un espace de redéploiement s’est élargi en parvenant à contourner résolument l’obstacle dressé par le traité de 1845, conçue alors non seulement pour briser inexorablement les liens entres les deux peuples lais aussi pour écraser définitivement la résistance menée par l’Emir Abdelkader précisément dans ce massif côtier dans lequel il a été contraint d’interrompre la lutte armée à la fin de 1847 après avoir consulté ces proches collaborateurs…

 

quoi qu’il en soit, l’espace en construction est l’ouvre de jeunes diplômes généralement pourvus de culture bilingue, représentés aussi bien par ceux de la cité des Trara que ceux de Tlemcen, les deux centres s’y investissant activement. De plus en plus, le protectorat les attire en renforçant à son insu les liens entre les deux pays, soit les deux peuples voisins.

A cet égard, l’oeuvre magistrale de Mohamed Bénamar Djebbari ( 1999, I : 127-130 ; 2001 : 141-146 ; III 2002 120-130) en constitue une illustration éclatante. A la fois témoin privilégié et un des artisans des plus actifs de cette entreprise de longue haleine, « l’enseignant de la vielle génération » s’est attaché activement et méthodiquement à recueillir de précieux témoignages directement à travers le pays limitrophe dés son adolescence. Bien plus, cadre de l’Education Nationale au lendemain de l’accession à l’indépendance, il a été aussi le bâtisseur de nombreuses écoles.

Après avoir  été durant de nombreuses décennies le précurseur de l’enseignement des mathématiques modernes sachant utiliser les premières   notions sur la théorie des ensembles, les signes et formules simples…. L’éducateur modèle sachant surprendre agréablement à chaque inspection et n’hésitant jamais à prendre des initiatives allant au détriment de sa propre santé comme en témoigne cette belle réalisation d’intérêt public intervenue en fin de carrière et qu’aucun responsable directement concernés n’a osé prendre en charge ( Mohamed Bénamar Djebbari, III, 254-258).

 

 

Conclusion :

 

Ainsi en dépit de contraintes liées directement à la configuration du massif côtier, Nédroma est une vieille et authentique cité. Tout en parvenant à vieillir jalousement à son autonomie à l’ombre des dynasties maghrébines voisines, elle a su en tirer avantageusement profit en recueillant et fructifiant à bon escient l’héritage culturel du riche passé andalou tout proche.

 

Des acquis incontestables qui se  sont avérés très bénéfiques durant l’époque contemporaine, précisément celle de repli et d’autarcie et qu’allait aggraver de surcroît la longue nuit coloniale… sans conteste, les élites ont réagi à point nommé en s’engageant résolument dans la voie la plus sûre et la plus sûre et la plus féconde, en veillant jalousement aux intérêts de la cité et en mobilisant toutes les énergies en faveur de l’acculturation.

 

D’autant que l’entreprise de longue  haleine a bénéficié à  de larges couches et qu’elle s’est poursuivie activement grâce à la compétence et au dévouement de pédagogues compétents en contribuant ainsi à l’élargissement sans cesse de l’espace de redéploiement investi par les jeunes diplômés, d’un espace bien au de là du tracé de 1845, non sans analogie frappante avec la marche entreprise.

Par Abd Al Moumene ben Ali, l’enfant originaire des environs proches de Nédroma, le Bâtisseur du Maghreb………

A l’ère de technologie révolutionnaire d’informations et de technologies effaçant de plus en plus les frontières tant politiques que linguistiques, ne sont ce pas, désormais l’enseignement à retenir dans l’intérêt général en ouvrant en faveur de toute ouverture, de rapprochement et d’enrichissement même ?

 


Note

 

1. Abdelmoumen Ben Ali est origine de Honaïne. Il est né au pied du Djebel Tadjera, le massif côtier dominant et proche de nédroma. Références Bibliographies.

 

Djebbari M.B : un parcours rude mais bien rempli, mémoire d’un enseignant de veille génération, Oran, tL : 1999, 280p ; tII : 2001, 260p ; tIII, 2002 318p : Grandguillaume G : Nédroma , l’évolution d’une médina, Leiden, Brill, 1976,1 93p.

Marçais G (1954) :l’architecture musulmane d’occident, paris, 2 tomes.

MarçaisG (1954) : l’architecture m

Sari dj : l’un des premiers et brillants médecins : le dr MOHAMED NEKKACH, les cahiers de Tunisie, Tunis , txxxxvIII, no 147- 148, p 225- 231.

Sari Dj : le role poinnier de nédroma dans l’acculturation, à paraître dans un ouvrage collectif.

Sari dj(1997) : Nédroma, encyclopédie de l’islam, leiden, nouvelle édition, t vl, p 875, 876



[1] il s’agit d’une commission constituée par le sénat le 16 mars 1891, présidée par Jules Ferry, pour étudier la politique suivie en Algérie : M.Ben Rahal et le docteur Larbey furent les seuls musulmans invités à paris pour témoigner devant les sénateurs.

[2] Julien Rohrbacher, «  monographie de nedroma » , inédit, bibliothèque du CHEAM, paris. Julien rohrbacher fut adminidtrateur à Nédroma de 1935-1940.

[3] C-H Ageron, les Algériens musulmans et la France ( 1871-1919), 2 tomes, paris, PUf, 1968, p.958.

[4] Ageron, op.cit. p 538.

[5] Ageron, op.cit p 340.

[6] Ageron, op.cit. p 958.

[7] Ageron, op.cit p 1029.

[8] Revue des questions diplomatiques et coloniales( 1er novembre 1901).

[9] Ageron, op.cit p 1030.



02/09/2008
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